Défi n°74 :
Objet inanimé avez vous une âme
Chloé
Je l’ai toujours connu la casquette du facteur accrochée à l’entrée, me signifiant ainsi qu’il venait de rentrer. Comme à son habitude, au terme de sa tournée après avoir mangé , mon père allait se reposer confiant au couvre chef toute son on autorité . Placée sur son perchoir comme une sentinelle en haut de son mirador, elle imposait dès lors un silence absolu à toute la maisonnée!
Arrogante et fière, elle restait impassible sans aucune faiblesse, épiant sans déroger mes moindres faits et gestes. Elle devint vite pour moi, l’objet de mes délires, de toutes mes projections, mon ennemie jurée à la fois convoitée quant en rang de bataille nous restions nous toiser, campant sans défaillir sur des positions stables et des règles imposées.
Quand venait les weekends et les jours de congé, la casquette cette fois quittant ses écussons, devenait singulière, beaucoup plus familière et nous restions des heures au gré de nos caprices à voyager ensemble sans jamais nous lasser. Capitaine de bateau, gendarme ou bien pilote de ligne, elle se prêtait aux jeux même aux plus insipides tels que chasser la mouche ou bien les papillons !
Quand dans les giboulées d’un automne maussade mon père s’en est allé, ma mère voulant bien faire, un jour me l’a donnée ! « Tiens me dit-elle alors, je crois qu'entre tes mains elle sera protégée » La casquette de mon père bien sûre s’ était feutrée et son galbe élégant s’était bien affaissé mais au fond de ma mémoire, elle avait une histoire que même le temps passé n’avait pas effacée !
Mais où allais –je la mettre! Sur le buffet ? Elle était trop présente et me rappelait à lui activant mon chagrin mais aussi mes remords ! Dans le placard ? Elle était trop absente, dissimulée comme une trahison, comme quelque chose peut être qui n’aurait pu se dire ! Sur le porte manteau, recouvert de nos frusques jetées à la volée ? Elle était anonyme et perdue dans la masse ! Sa visière affaissée lui donnait un air sombre et chargé de reproches mais la rendre invisible m’était insupportable ! Mais où allais-je le mettre ?
Durant plusieurs saisons la casquette de mon père, objet de mes dilemmes et de mes états d’âme, testa tous les recoins! Elle fit sans trouver place, le tour de la maison, jusqu’au jour fatidique ou l’un de mes petits fils la posa sur sa tête en disant d’un air triomphant « Mamé, je suis le capitaine du bateau ». Ce jour là je ne saurais vous dire si je me mis à rire ou si je déversai mais l'émotion aidant, je dus faire les deux! A travers mes péripéties de gosse je pus alors lui parler de son arrière grand père, m'adonnant un instant à tous ces jeux d'enfants qui font tant le plaisir des petits et des grands ! Depuis, la casquette de mon père à repris du service et trône majestueusement, la visière relevée, dans la chambre des petits au milieu des jouets. Elle a trouvée sa place, sûrement la plus jolie et se prête volontiers à toutes leurs fantaisies même les plus insipides, telles que chasser la mouche ou bien les papillons !
Chloé