A l'abordage
Défi n°91
Jeudi poésie
Sous la houlette de Jill
L'autisme
« Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l'œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près... » Extrait du Petit Prince de Saint Exupèry
Du haut de ses huit ans, Ludovic se tenait debout devant moi sur la pointe des pieds, à la fois si proche et si lointain, dans une raideur presque cadavérique. Il tournoyait des heures entières inlassablement sur lui-même dans une sorte de recherche d’équilibre, tel un papillon épuisé qui ne peut jamais se poser ! Son visage crispé exprimait quelque chose d’effrayant comme une douleur statique fixée à jamais sur la toile tandis que son regard désespérément vide me traversait d’un souffle glacial sans jamais s’arrêter ni me voir ! Ses mains assaillies de mille doutes, de mille souffrances aussi, semblaient dans leur détresse chercher le chemin des miennes mais dès qu’elles m’effleuraient, elles hurlaient de douleur, se tordaient, semblaient se consumer sous les feux de l’enfer !
Pourtant, chaque jour il était là, à proximité de moi, emmuré dans son silence, dans sa forteresse par défaut cherchant je ne sais quoi d’indéfinissable. Sans comprendre vraiment ce qui me poussait, je répondais présente à ce rendez vous insensé où n’existait qu’un froid sibérien et austère ! La moindre de mes expressions, la plus petite de mes attentions, la simple manifestation d’une émotion éveillaient en lui un chaos de sentiments contradictoires qui paraissait le submerger comme un raz de marée dévastateur, menaçant de l’engloutir à jamais !
A ce masque de souffrance, telle une comédienne s’exerçant sur les planches , j’ opposais donc un masque neutre, dénué de tout affect , étouffant mes attentes, retenant mes paroles , mes gestes et mes émois pour ne pas le faire fuir ! Derrière ma carapace, j’étais neige fondant au soleil, luttant en désespoir de cause à cette envie de le prendre dans mes bras pour mieux le protéger ! Mais je n’en faisais rien de peur de l’effrayer l Il te faudra être très patient si tu veux m’apprivoiser disait le renard dans le Petit Prince ! Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l'œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près... »
Alors dans cette constance j’attendais sans jamais défaillir, espérant que le temps deviendrait notre allié !
A ne demander rien il me donna beaucoup et l’échange s’installa lentement, au fil du temps, par petites touches ! Un jour s’éloignant de moi au plus loin dans la pièce, lui qui ne parlait pas me cria mon prénom, sautant comme un poisson, me laissant interdite, bouleversée d’émotion mais je ne pus rien dire si ce n’est : « Aie- je entendu Liliane ? Pas mal Ludo, pas facile à dire hein ? »
Chloé
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